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Zelandoni ne se trouvait pas avec Ayla durant son obscur voyage intérieur, mais elle en avait senti la force d’attraction. Si elle avait absorbé le suc magique en quantité plus importante, elle aurait peut-être été aspirée comme Ayla dans le néant obscur et, comme elle, se serait sans doute perdue dans l’énigmatique paysage suscité par la racine. Quoi qu’il en soit, elle perdit la maîtrise de ses facultés pendant un certain laps de temps et connut ses propres difficultés.

Les membres de la Zelandonia s’interrogeaient avec perplexité sur ce qui se passait sous leurs yeux : Ayla avait apparemment sombré dans l’inconscience, et la Première ne semblait pas en être bien loin. Elle ne s’assoupissait pas vraiment, mais ne cessait de s’affaisser sur elle-même, ses yeux se faisaient par moments vitreux, comme si elle fixait quelque chose, le regard perdu au loin. Elle ne paraissait pas contrôler l’expérience, ce qui en soi était inhabituel, elle n’était à l’évidence plus maîtresse d’elle-même, ce qui les inquiétait tous beaucoup. Ceux qui la connaissaient le mieux étaient les plus alarmés, mais ils ne voulaient surtout pas faire voir leur anxiété aux autres, ce qui aurait aggravé encore les choses.

La Première se secoua, tentant de reprendre ses esprits par la seule force de sa volonté.

— Froid, froid, eut-elle le temps de souffler avant de s’affaisser de nouveau, ses yeux reprenant leur aspect vitreux.

Peu après, elle se redressa brusquement, comme si elle était tout à fait éveillée, et cria :

— Couverture… fourrure… couvrir Ayla… froid… si froid. Réchauffer…

Elle perdit conscience une fois de plus.

Les participants à la cérémonie avaient apporté des couvertures pour leur tenir chaud, tout simplement parce qu’il faisait toujours frais dans une grotte. Ils en avaient déjà déposé une sur Ayla, mais le Zelandoni de la Onzième Caverne décida d’en ajouter une seconde. Ce faisant, il frôla la jeune femme et recula, stupéfait :

— Elle est glacée. Presque comme si elle était morte.

— Est-ce qu’elle respire ? demanda la Zelandoni de la Troisième Caverne.

Le Zelandoni de la Onzième se pencha, scruta longuement le corps étendu et remarqua que la poitrine s’élevait et s’abaissait très légèrement. Un infime souffle d’air sortait par ailleurs de la bouche d’Ayla, tout juste entrouverte.

— Oui, mais à peine, répondit-il.

— Croyez-vous que nous devrions préparer quelque chose de chaud ? Une infusion quelconque ? demanda le Zelandoni de la Cinquième Caverne.

— Oui, je le pense, pour toutes les deux, répondit la Zelandoni de la Troisième Caverne.

— Quelque chose d’apaisant ou quelque chose de stimulant ? reprit le Zelandoni de la Cinquième Caverne.

— Je ne sais pas. L’une ou l’autre pourrait réagir différemment, et d’une façon inattendue, aux effets de cette racine, expliqua la Zelandoni de la Troisième Caverne.

— Essayons d’abord de poser la question à la Première. C’est à elle de décider, intervint le Zelandoni de la Onzième Caverne.

Ses compagnons approuvèrent de la tête. Les trois Zelandonia entourèrent alors la Première, toujours assise sur son tabouret, tassée sur elle-même. La Zelandoni de la Troisième Caverne posa sa main sur l’épaule de la Première et commença à la secouer, d’abord doucement, puis plus fort. Zelandoni se redressa brusquement, reprenant conscience.

— Veux-tu une infusion ? demanda la Zelandoni de la Troisième Caverne.

— Oui ! Oui ! répondit la Première d’une voix très forte, comme si le fait de crier l’aidait à rester éveillée.

— Doit-on en donner aussi à Ayla ?

— Oui. Chaude !

— Des herbes stimulantes ou apaisantes ? demanda le Zelandoni de la Onzième Caverne, haussant la voix lui aussi.

La Zelandoni de la Quatorzième Caverne s’approcha, le front barré d’une ride soucieuse.

— Stimul… Non ! fit la Première, arrêtant sa phrase pour tenter de se concentrer. De l’eau ! Juste de l’eau chaude ! reprit-elle avant de se secouer pour essayer de rester éveillée. Aidez-moi à me lever !

— Es-tu sûre de pouvoir tenir debout ? demanda la Zelandoni de la Troisième Caverne. Il ne faudrait surtout pas que tu tombes…

— Aidez-moi à me lever ! Il ne faut pas que je dorme. Ayla a besoin… a besoin d’aide.

Elle sembla sur le point de s’affaisser une fois de plus et se secoua violemment.

— Aidez-moi à me lever. Allez chercher de l’eau… chaude. Pas d’infusion.

Les Zelandonia entourèrent alors l’énorme femme qui était la Première et, non sans mal, la remirent sur ses pieds. Elle oscilla un moment sur elle-même, comme quelqu’un pris de boisson, s’appuya lourdement sur deux des Zelandonia et hocha de nouveau la tête. Elle ferma les yeux et son visage refléta une intense concentration. Elle les rouvrit au bout d’un moment, les dents serrées, visiblement déterminée. Elle avait cessé de tanguer.

— Ayla est en danger, dit-elle. C’est ma faute. J’aurais dû le savoir…

Elle avait encore du mal à se concentrer, à avoir l’esprit clair, mais le fait d’être de nouveau debout et capable de se mouvoir l’aidait. De même que l’eau chaude, du simple fait qu’elle la réchauffait. Elle avait froid, terriblement froid, un froid à glacer les os, et elle savait que cela ne venait pas du simple fait qu’elle se trouvait dans une grotte.

— Trop froid, poursuivit-elle. La bouger. Faire du feu. De la chaleur.

— Souhaites-tu que nous sortions Ayla de la grotte ? demanda la Zelandoni de la Quatorzième Caverne.

— Oui. Trop froid.

— Faut-il la réveiller ? s’enquit le Zelandoni de la Onzième Caverne.

— Je ne crois pas que ce soit possible, répondit la Première. Mais essayez.

Ils tentèrent d’abord de secouer Ayla doucement, puis un peu plus rudement. Elle ne bougeait toujours pas. Ils essayèrent alors de lui parler, puis de hurler à son oreille, sans résultat.

— Crois-tu que nous devrions continuer de chanter ? demanda la Zelandoni de la Troisième Caverne.

— Oui ! Chantez ! Ne vous arrêtez pas ! C’est tout ce qui lui reste ! cria la Première.

Les membres de la Zelandonia du rang le plus élevé donnèrent certaines instructions et, soudain, il y eut dans la grotte un débordement d’activité : plusieurs participants à la cérémonie quittèrent les lieux en toute hâte pour se rendre à la hutte de la Zelandonia, d’autres se mirent à préparer un feu pour faire chauffer de l’eau, d’autres encore se mirent en devoir de trouver une litière pour transporter la jeune femme hors de la grotte. Les autres reprirent avec ferveur leur litanie.

De nombreuses personnes se trouvaient près de l’abri de la Zelandonia. Une réunion des couples envisageant de nouer le lien à l’occasion des futures Matrimoniales, les dernières de la saison, était prévue un peu plus tard dans la journée, et certains avaient déjà commencé à se regrouper. Folara et Aldanor en faisaient partie. En voyant plusieurs Zelandonia arriver en courant, ils échangèrent un regard inquiet.

— Que se passe-t-il ? demanda Folara. Pourquoi tout le monde est si pressé ?

— C’est la nouvelle Zelandoni ! répondit un jeune homme, l’un des tout récents acolytes.

— Tu parles d’Ayla ? La Zelandoni de la Neuvième ? s’inquiéta Folara.

— Oui. Elle a préparé une boisson spéciale à base d’une espèce de racine, et la Première a dit que nous devions la faire sortir de la grotte parce qu’il y faisait trop froid. Elle ne s’est pas réveillée, expliqua l’acolyte.

Tous se retournèrent en entendant un grand bruit : deux jeunes et vigoureux doniates aidaient la Première à quitter la grotte. Celle-ci avait du mal à conserver son équilibre et à avancer sans trébucher. Jamais Folara n’avait vu Zelandoni dans cet état. Une vague d’appréhension la submergea. Celle Qui Était la Première était toujours si sûre d’elle-même, si positive. Même en dépit de sa stature, elle se mouvait toujours avec aisance, et une grande assurance. La jeune femme avait déjà été fort affectée en voyant sa mère s’affaiblir, mais là, elle était littéralement saisie d’effroi en voyant une femme qu’elle avait toujours prise pour une force inébranlable, un parangon de sécurité et de puissance, faire soudain preuve d’une faiblesse aussi extrême.

Le temps que la Première rejoigne le local, un autre groupe de Zelandonia fit son apparition sur le sentier descendant de la grotte, portant une litière recouverte de fourrures. Quand la procession se rapprocha, Folara et Aldanor commencèrent à entendre de plus en plus distinctement les sons entremêlés des voix des membres de la Zelandonia. Quand la litière passa devant elle, Folara regarda la jeune femme qu’elle avait appris à connaître et à aimer, la compagne de son frère. Le visage d’Ayla était d’une pâleur de craie et sa respiration si faible que sa poitrine semblait à peine bouger.

Folara en fut horrifiée, ce qui n’échappa pas à Aldanor.

— Il faut aller retrouver mère, Proleva et Joharran, dit-elle. Et Jondalar…

 

 

Bien que cela ne se soit pas fait sans peine, ni sans embarras pour elle, le trajet entre la grotte et l’abri de la Zelandonia avait aidé la Première à reprendre totalement ses esprits. Elle se laissa tomber avec soulagement sur son large siège confortable et accepta la tasse d’eau chaude qu’on lui tendait. Avant d’avoir récupéré toute sa tête, elle n’avait pas osé suggérer qu’on lui prépare une décoction d’herbes médicinales ou quelque autre remède susceptible de contrebalancer les effets de la racine, de peur que ceux-ci n’aggravent son état plutôt qu’ils ne l’améliorent. Maintenant qu’elle avait les idées plus claires, et même si son corps ressentait encore les puissants effets de la terrible racine, elle décida de procéder à une expérience sur elle-même : elle ajouta quelques herbes stimulantes à une seconde tasse d’eau chaude et la sirota sans hâte, essayant de jauger ce qu’elle ressentait. Elle n’était pas sûre que celles-ci amélioreraient son état, mais pensait qu’elles ne l’aggraveraient pas.

Elle se releva et, avec un peu d’aide, s’approcha du lit récemment libéré par Laramar où l’on avait étendu Ayla.

— Vous avez essayé de lui faire boire un peu d’eau chaude ? demanda-t-elle.

— Nous n’avons même pas pu lui ouvrir la bouche, répondit un jeune acolyte.

La Première essaya de desserrer les mâchoires d’Ayla, mais celles-ci demeuraient obstinément bloquées, comme si la jeune femme luttait de toutes ses forces contre une puissance inconnue. La doniate repoussa alors les couvertures et remarqua que son corps, d’une rigidité absolue, était en outre d’un froid glacial au toucher malgré toutes les fourrures qui le recouvraient.

— Verse de l’eau chaude dans ce grand bol, ordonna-t-elle au jeune homme.

Plusieurs autres personnes présentes se précipitèrent pour l’aider.

Elle ne parvint pas à ouvrir la bouche d’Ayla. Dans l’incapacité de lui faire absorber quelque chose de chaud, elle allait devoir tenter de la réchauffer par l’extérieur. La Première prit donc plusieurs morceaux de matériau servant à bander les plaies, des peaux de bêtes bien souples qui se trouvaient toujours à proximité, les plongea dans le liquide brûlant et appliqua le bandage ainsi réalisé sur le bras gauche d’Ayla. Le temps qu’elle en pose un autre sur son bras droit, le premier était déjà complètement froid.

— Apportez-moi encore de l’eau chaude, demanda-t-elle.

Elle dénoua ensuite la cordelière qui retenait le vêtement de la jeune femme et, la soulevant avec l’aide de plusieurs Zelandonia, le lui ôta en remarquant le système ingénieux qui retenait la peau de bête. La Première remarqua qu’Ayla n’était pas complètement nue au-dessous : toute une série de lanières retenaient le tampon en cuir garni de bourre d’osier absorbante qu’elle portait entre les jambes.

Soit elle a ses lunes, soit elle ne s’est pas encore remise de la perte de son bébé, songea Zelandoni. Quoi qu’il en soit, cela veut dire que Laramar n’a pas conçu une nouvelle vie en elle. De façon très prosaïque, la doniate s’assura qu’elle n’avait pas besoin d’être changée, mais elle approchait apparemment du terme de son flux. Le tampon était à peine taché et elle le laissa à sa place.

Avec l’aide de plusieurs autres doniates, elle entreprit alors de recouvrir le corps d’Ayla de peaux humides et chaudes afin de dissiper le froid extrême dans lequel était toujours plongée la jeune femme. Elle-même n’avait eu qu’un avant-goût de ce que subissait Ayla, mais cela lui avait suffi pour apprécier l’état dans lequel celle-ci devait se trouver. Finalement, au bout de multiples et longues applications, le corps de la jeune femme parut se détendre quelque peu. En tout cas, ses mâchoires se desserrèrent. Zelandoni espéra que c’était bon signe, mais elle n’avait aucun moyen d’en être sûre. Elle couvrit Ayla de fourrures bien chaudes : c’était tout ce qu’elle pouvait faire pour elle dans l’instant.

On apporta son siège, solide et large, à Celle Qui Était la Première, et celle-ci y prit place à côté de la toute nouvelle Zelandoni, pour y entamer une veille lourde d’inquiétude. Elle prit conscience pour la première fois des chants qui, depuis le début de la cérémonie, n’avaient cessé de se faire entendre, certains des participants relayant ceux qui s’arrêtaient sous l’effet de la fatigue.

Il faudra sans doute faire appel à d’autres volontaires pour que ces chants se poursuivent en permanence si l’attente est trop longue, se dit Zelandoni, évitant de penser à la suite. Quand elle ne pouvait s’en empêcher, c’était pour se dire qu’Ayla finirait bien par revenir à elle et qu’elle serait de nouveau fraîche et dispose. Toute autre hypothèse était trop pénible à envisager. Si je n’avais pas été si curieuse quant à ces nouvelles racines si fascinantes, me serais-je montrée plus perspicace ? se demandait-elle. Ayla avait semblé assez perturbée et nerveuse lorsqu’elle était arrivée dans la grotte, mais les membres de la Zelandonia étaient tous là, attendant avec impatience la cérémonie exceptionnelle qui allait s’y dérouler. La Première avait regardé Ayla mâcher longuement les racines, puis recracher le suc ainsi obtenu dans le bol d’eau, et elle avait décidé de tester elle-même le produit.

Cela avait constitué pour elle un premier avertissement. Les effets de la boisson avaient été infiniment plus puissants que ceux auxquels elle s’attendait. Mais même si elle avait traversé de rudes moments, elle ne regrettait nullement d’avoir pris cette initiative. L’expérience qu’elle venait de tenter lui donnait une bonne idée de ce qu’Ayla était en train de vivre. Qui aurait pu croire que des racines séchées d’aspect si inoffensif pouvaient avoir des effets aussi redoutables ? Quelle était leur nature ? La plante poussait-elle quelque part dans les environs ? À l’évidence, elle possédait des propriétés absolument uniques, certaines susceptibles de présenter quelque intérêt pour des utilisations spécifiques. Mais s’il devait y avoir d’autres expérimentations, celles-ci devraient être beaucoup mieux surveillées et contrôlées. Car cette racine présentait des dangers évidents.

La Première venait tout juste de se plonger dans l’état de méditation qui était d’ordinaire le sien durant ses longues veilles lorsqu’un membre de la Zelandonia vint la voir : accompagnées de Folara, Marthona et Proleva venaient d’arriver et demandaient à être reçues.

— Qu’elles viennent, bien sûr, dit-elle. Elles peuvent nous apporter leur aide, et celle-ci ne sera pas de trop avant que cette affaire se termine.

Les trois femmes remarquèrent dès leur entrée que plusieurs membres de la Zelandonia chantaient non loin d’un lit installé à l’arrière du bâtiment. Zelandoni était assise juste à côté.

— Qu’est-il arrivé à Ayla ? s’inquiéta Marthona en voyant la jeune femme allongée sur la couche, immobile et d’une pâleur extrême.

— J’aimerais bien le savoir, répondit Zelandoni. Et je crains d’avoir largement ma part de responsabilité. Ces dernières années, Ayla m’a parlé à diverses reprises d’une racine utilisée par les… les Mog-ur, comme je crois qu’elle les appelle, les hommes du Clan qui sont en contact avec les Esprits. Ils s’en servaient pour entrer dans le Monde des Esprits en question, mais uniquement dans le cadre de certaines cérémonies très particulières, d’après ce que j’ai compris. À la façon dont elle parlait de ces racines, j’étais certaine qu’elle les avait testées, mais elle se montrait toujours extrêmement mystérieuse lorsqu’elle les évoquait. Elle disait que leurs effets étaient particulièrement puissants, ce qui m’a intriguée, bien sûr. Tout ce qui peut aider la Zelandonia à communiquer avec le Monde d’Après présente toujours de l’intérêt.

On apporta des tabourets pour les trois femmes ainsi qu’une infusion de camomille.

— J’ignorais jusqu’à une époque très récente qu’Ayla avait toujours certaines de ces racines en sa possession, et qu’elle pensait que leur efficacité avait de bonnes chances d’être encore réelle, poursuivit la Première lorsque ses interlocutrices se furent installées. Très franchement, j’avais mes doutes : la plupart des herbes et des plantes médicinales perdent de leur efficacité au fil du temps. Mais elle affirmait qu’à la condition qu’elles soient convenablement conservées et mises à l’abri leurs pouvoirs se concentrent, se renforcent avec le temps. Je me suis dit qu’une petite expérience pourrait peut-être l’aider à penser à autre chose qu’à ses ennuis du moment. Je savais qu’elle était préoccupée par Jondalar, et par ce triste incident de la nuit de la fête, en particulier après la perte qu’elle a subie lorsqu’elle a été appelée.

— Tu n’imagines pas à quel point cela a été difficile pour elle, Zelandoni, expliqua Marthona. Je sais que ce n’est jamais facile d’être appelée, et c’est inévitable, j’imagine, mais avec la perte de son bébé et tout ce qui s’en est suivi, je peux te dire qu’il y a eu des moments où j’ai craint que nous ne la perdions : elle saignait tellement que j’ai bien cru qu’elle allait en mourir. J’étais d’ailleurs sur le point de faire appel à toi. Je l’aurais fait si ses saignements s’étaient prolongés…

— Tu n’aurais peut-être pas dû la laisser revenir si tôt, dit Zelandoni, l’air pensive.

— Impossible de l’arrêter. Tu sais comment elle est lorsqu’elle a décidé quelque chose, dit Marthona.

La Première approuva de la tête.

— Elle avait tellement hâte de retrouver Jondalar, et Jonayla. Après avoir perdu son bébé, elle voulait revoir son enfant au plus vite, et je crois qu’elle souhaitait en commencer un autre. Et elle était sûre de savoir comment s’y prendre. Je crois que c’est en partie pour cette raison qu’elle avait une telle envie de revoir Jondalar.

— Ça pour le voir, elle l’a vu, intervint Proleva. Avec Marona…

— J’ai parfois du mal à comprendre Jondi, dit Folara. Pourquoi donc a-t-il choisi celle-là et pas une autre, si vraiment il lui fallait une femme ?

— Sans doute parce qu’elle l’a poussé à la choisir, expliqua Proleva. Jondalar a toujours eu des besoins très forts. Elle s’est rendue disponible, voilà tout.

— Et que fait-il lorsque Ayla décide de tenter sa chance pendant la fête ? reprit Folara. Alors qu’elle en avait tout à fait le droit…

— Droit ou pas, ce n’est pas pour célébrer la Mère lors de la fête qu’elle a fait cela, dit Zelandoni. Si elle a choisi cet homme en particulier, c’est uniquement par colère et par dépit. Ce n’était pas de Laramar qu’elle avait envie, c’était de Jondalar. Ce qui n’était pas fait pour honorer la Mère, et elle le savait. Aucun des deux n’est exempt de reproches, mais je crois bien que l’un et l’autre ont voulu assumer toute la responsabilité de la situation, ce qui n’a aidé en rien à la régler.

— Quel que soit le responsable, Jondalar va devoir en payer le prix, et il sera lourd, intervint Marthona.

— Je ne peux pas en vouloir à Laramar de ne pas avoir souhaité retourner à la Neuvième Caverne, et je suis ravie que la Cinquième ait accepté de le recevoir, mais sa compagne ne veut pas déménager, expliqua Proleva. Elle dit que son foyer, c’est la Neuvième Caverne. Mais si elle se retrouve sans compagnon, qui va prendre soin de toute sa nichée ?

— Et qui lui fournira sa ration quotidienne de barma ? glissa perfidement Folara.

— C’est peut-être cela qui la poussera à rejoindre la Cinquième, dit Zelandoni.

— À moins que son aîné ne prenne la relève, dit Proleva. Cela fait des années qu’il apprend les secrets de la fabrication du barma. D’après certains, celui qu’il produit est meilleur que celui de son père et je connais pas mal de gens dans la partie de la Rivière qui est la nôtre qui apprécieraient d’en avoir une source pas trop éloignée.

— Inutile en tout cas de le lui suggérer, dit Marthona.

— Quelle importance ? répliqua Proleva. Si nous sommes capables d’y penser, d’autres y parviendront aussi.

Zelandoni remarqua que deux autres personnes rejoignaient les rangs des chanteurs, alors qu’une les quittait. Elle leur manifesta sa satisfaction d’un signe de tête et jeta un coup d’œil à Ayla. Sa peau n’avait-elle pas pris une teinte plus grise ? Elle n’avait pas bougé d’un pouce mais, étrangement, semblait s’être un peu enfoncée dans sa couche. Bien qu’inquiète de la tournure que prenaient les choses, la doniate revint à ses explications :

— Je disais donc que je voulais essayer d’aider Ayla à penser à autre chose qu’à ses problèmes, à parler de sujets qui, d’ordinaire, l’intéressent beaucoup. C’est la raison pour laquelle je lui ai posé des questions sur cette racine du Clan. Cela étant, j’ai ma part de responsabilité : j’avais terriblement envie d’en savoir plus sur elle, sur ses effets, alors que j’aurais dû prêter à Ayla plus d’attention, remarquer à quel point elle était bouleversée. Et j’aurais dû la croire lorsqu’elle a évoqué la puissance de cette racine du Clan. Je n’ai bu qu’une petite gorgée de suc et j’ai dû me battre pour ne pas perdre la maîtrise de moi-même. Ses effets sont considérablement plus forts que tout ce que je pouvais imaginer.

« J’ai bien peur qu’Ayla ne soit maintenant perdue quelque part dans le Monde des Esprits, poursuivit la Première. La seule chose qu’elle m’ait dite dont je garde le souvenir, c’est que le chant était le seul lien qui pouvait la maintenir en contact avec ce monde, et j’ai pu en effet en avoir la confirmation lorsque je me suis sentie perdre pied après juste une petite gorgée de liquide. Je vais être honnête avec vous : je ne sais pas quoi faire d’autre pour elle, sinon la maintenir bien au chaud, demander aux Zelandonia de ne pas s’arrêter de chanter, et espérer que les effets de la racine se dissiperont au plus vite.

— Je me souviens en effet qu’elle m’a parlé de cette racine du Clan, dit Marthona. Celui qu’elle appelle Mamut lui a dit que plus jamais il n’aurait recours à elle, qu’il avait trop peur de se perdre à jamais. D’après lui, ses effets étaient trop puissants, et il a mis Ayla en garde : jamais elle ne devrait en user.

La Première fronça les sourcils.

— Pourquoi donc ne m’a-t-elle pas dit que Mamut lui avait demandé de ne pas utiliser cette racine ? Il était l’un de Ceux Qui Servent, et parlait certainement en connaissance de cause. Ayla paraissait peu enthousiaste au début à l’idée d’y recourir, mais jamais elle ne m’a dit pourquoi. Et ensuite elle n’a plus manifesté la moindre réticence. Au contraire, elle a même pratiqué plusieurs rituels du Clan. Jamais elle n’a évoqué cette mise en garde de Mamut, expliqua Zelandoni, visiblement perturbée.

Sur ce, elle se leva et alla une fois de plus voir dans quel état se trouvait Ayla. La jeune femme avait toujours la peau moite et glacée, et son souffle était à peine perceptible. Si la doniate s’était contentée de la regarder, et même de la toucher, elle aurait pu la croire morte. Elle souleva sa paupière, n’obtenant qu’une faible réaction. Zelandoni avait cru, espéré que tout ce dont Ayla avait besoin, c’était du temps nécessaire pour que les effets de la racine se dissipent. Elle en était maintenant à se demander si quelque chose était susceptible de l’aider à surmonter son état.

Elle regarda autour d’elle et fit signe à un acolyte de venir auprès d’elle.

— Masse-la, doucement, ordonna-t-elle. Essaie de redonner un peu de couleur à sa peau, nous allons tenter de lui faire avaler un peu d’infusion bien chaude, quelque chose de stimulant.

Puis, d’une voix plus forte, afin que chacun puisse entendre, elle lança :

— Quelqu’un sait-il où se trouve Jondalar ?

— Il fait de longues promenades ces derniers temps, le plus souvent au bord de la Rivière, dit Marthona.

— Je l’ai vu en effet aller dans cette direction ; il courait presque, intervint un acolyte.

Zelandoni se redressa et tapa dans ses mains pour attirer l’attention de toutes les personnes présentes :

— L’esprit d’Ayla est perdu dans le néant, et elle est incapable de retrouver son chemin, expliqua-t-elle. Il se peut même qu’elle soit incapable de trouver celui qui mène à la Mère. Nous devons mettre la main sur Jondalar. Si nous ne parvenons pas à l’amener jusqu’ici, jamais elle ne pourra revenir, elle n’aura même pas la volonté d’essayer. Cherchez dans tout le campement, fouillez chaque tente, demandez à tout le monde de le retrouver. Inspectez avec soin les bois, les bords de la Rivière, la Rivière elle-même s’il le faut. Mais ramenez-le ici. Au plus vite.

La plupart des personnes présentes dans l’abri n’avaient jamais vu la Première aussi agitée, aussi inquiète.

Toutes, à part celles qui devaient chanter, quittèrent le bâtiment en hâte et s’éparpillèrent dans toutes les directions. Après leur départ, Celle Qui Était la Première pour Servir la Mère examina Ayla une fois de plus : sa peau était toujours aussi froide, et devenait de plus en plus grise.

Elle est en train d’abandonner, se dit la doniate. Je ne crois pas qu’elle ait envie de continuer à vivre. Jondalar risque d’arriver trop tard.

 

 

L’un des acolytes entra précipitamment dans la tente où logeaient Jondalar et les deux visiteurs mamutoï. Il n’avait jusqu’alors qu’aperçu de loin le géant roux et eut un peu l’impression d’être un nain lorsqu’il se retrouva devant lui.

— Savez-vous où est Jondalar ? demanda-t-il aux personnes présentes.

— Moi non, répondit Danug. Je ne l’ai pas vu depuis le tout début de la matinée. Pourquoi ?

— C’est la nouvelle Zelandoni… Elle a bu un liquide qu’elle a préparé à partir d’une racine, et son esprit se trouve maintenant dans une sorte de néant obscur. La Première dit qu’il faut absolument retrouver Jondalar et l’amener au plus vite au local de la Zelandonia, sans quoi elle va mourir et son esprit errera éternellement, expliqua d’un seul trait l’acolyte avant de reprendre son souffle pour ajouter : Nous devons le chercher partout et demander à tout le monde de nous aider à le retrouver.

— Ce ne serait pas cette racine qu’elle a testée avec Mamut ? demanda Danug en regardant Druwez avec consternation.

— De quelle racine s’agit-il ? demanda Dalanar, qui avait remarqué leur air inquiet.

— Ayla avait ramené une racine qu’utilisaient les gens de son Clan, expliqua Danug. En tout cas ceux qui parlent au Monde des Esprits. Mamut voulait en voir les effets, et Ayla l’a donc préparée comme on le lui avait appris. Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé mais personne n’a été capable de les réveiller. Tout le monde était inquiet et nous avons tous dû nous mettre à chanter. Finalement, Jondalar est arrivé et a supplié Ayla de revenir, il n’arrêtait pas de répéter à quel point il l’aimait. Ils avaient eu quelques problèmes tous les deux, un peu comme ceux qu’ils connaissent maintenant. J’ai du mal à comprendre comment deux personnes qui s’aiment à ce point peuvent être aussi aveugles sur leurs sentiments respectifs…

— Mon frère a toujours eu des ennuis avec les femmes comme elle, intervint Folara en hochant la tête. Est-ce de l’orgueil ou de la stupidité, je n’en sais trop rien. Je croyais qu’il avait dépassé ce stade lorsqu’il a ramené Ayla. Il est parfait lorsqu’il se trouve avec une femme dont il ne se soucie pas plus que cela, mais dès qu’il en aime une vraiment, on dirait qu’il perd tout sens commun et ne sait plus quoi faire. Si vous saviez toutes les histoires qu’on raconte à ce propos… mais c’est sans importance. Alors, que s’est-il passé ?

— Jondalar a donc répété encore et encore qu’il l’aimait et l’a suppliée de revenir. Elle a fini par se réveiller, tout comme Mamut. Celui-ci nous a confié par la suite qu’ils seraient restés perdus éternellement dans une espèce de néant obscur si l’amour de Jondalar n’avait pas été si intense, si fort, qu’il avait fini par atteindre Ayla ; c’est grâce à cela qu’elle est retournée dans notre monde, ainsi que Mamut, qui a dit que les racines étaient trop puissantes, que jamais il n’avait été en mesure de les maîtriser et que plus jamais il n’aurait recours à elles. Il nous a expliqué qu’il avait craint que son esprit ne se perde à jamais dans ce lieu terrifiant, et il a mis Ayla en garde elle aussi…

Le géant se sentit pâlir tout à coup.

— Elle a recommencé… lâcha-t-il en quittant précipitamment la tente.

Au début, il se demanda où aller, puis une idée lui vint et il partit en courant vers le campement de la Neuvième Caverne.

Plusieurs personnes se trouvaient autour du grand foyer où l’on préparait la nourriture, et il fut soulagé de voir Jonayla. Visiblement, celle-ci avait pleuré, et tout en poussant de petits gémissements, Loup essayait de lécher les larmes qui coulaient sur ses joues. Marthona et Folara tentaient elles aussi de la consoler. Elles rendirent son salut au grand Mamutoï, qui alla s’agenouiller devant la fillette et caressa la tête de Loup quand l’animal, qui l’avait reconnu, le poussa du museau.

— Comment vas-tu, Jonayla ? demanda-t-il.

— Je veux ma mère, Danug, fit la petite fille en se remettant à pleurer. Ma mère est malade. Elle ne va pas se réveiller.

— Mais si, j’en suis sûr. Je crois connaître un moyen de l’aider, dit le géant roux.

— Lequel ? demanda Jonayla qui le regarda en ouvrant de grands yeux.

— Elle est tombée malade de la même façon il y a longtemps, quand elle habitait avec nous au Camp du Lion. Je crois que Jondalar devrait pouvoir la réveiller. C’est lui qui y est arrivé, la fois précédente. Sais-tu où il se trouve, Jonayla ?

La fillette fit non de la tête.

— Je ne le vois plus beaucoup en ce moment. Il s’en va souvent, parfois pour toute la journée.

— Et sais-tu où il va ?

— Très souvent il remonte le long de la Rivière.

— Et est-ce qu’il prend Loup avec lui, parfois ?

— Oui, mais pas aujourd’hui.

— Crois-tu que Loup pourrait le retrouver, si tu le lui demandais ?

Jonayla regarda Loup, puis Danug.

— Peut-être, dit-elle, puis, avec un sourire incertain : Oui, je crois qu’il le pourrait.

— Si tu lui dis de partir à la recherche de Jondalar, je le suivrai et, lorsqu’il l’aura retrouvé, je dirai à Jondalar de revenir au campement et d’aller réveiller ta mère, dit Danug.

— Mère et Jondi ne se sont pas beaucoup parlé ces derniers temps. Peut-être qu’il n’en aura pas envie, dit la fillette, un pli soucieux barrant soudain son front.

Danug trouva qu’elle ressemblait terriblement à Jondalar lorsqu’elle fronçait les sourcils de cette façon.

— Ne t’en fais pas pour ça, Jonayla. Jondalar aime beaucoup ta mère, et elle l’aime aussi. S’il savait qu’elle a des problèmes, il se précipiterait auprès d’elle aussi vite qu’il en est capable. Je le sais, fit le géant mamutoï.

— Mais s’il l’aime, pourquoi il ne lui parle pas, Danug ?

— Parce que, même quand on aime quelqu’un, on ne le comprend pas toujours. Quelquefois on a même du mal à se comprendre soi-même. Tu veux bien dire à Loup de partir à la recherche de Jondalar ?

— Allez, Loup, viens, dit Jonayla.

Elle se leva et prit la grosse tête massive entre ses menottes, tout comme l’aurait fait sa mère. Elle ressemblait si fort à une Ayla en miniature que Danug eut du mal à ne pas sourire. Il n’était pas le seul.

— Mère est malade et Jondalar doit revenir pour aller l’aider, Loup, expliqua la fillette. Tu dois le retrouver.

Elle ôta ses mains de la tête de l’animal et indiqua du doigt la direction de la Rivière.

— Va trouver Jondalar, Loup. Trouve-le.

Ce n’était pas la première fois que le loup entendait cet ordre. Avec Ayla, il avait dû suivre la piste de Jondalar jadis, lors de leur Grand Voyage de retour, quand celui-ci avait été capturé par les guerrières d’Attaroa.

Soudain impatient, l’animal lécha une dernière fois le visage de Jonayla, puis partit en direction de la Rivière.

Il se retourna une fois vers elle et était sur le point de faire demi-tour, mais elle lui répéta « Allez, Loup ! Retrouve Jondalar ! » et il se remit en route, jetant un coup d’œil à Danug qui marchait sur ses traces, puis accéléra l’allure, la truffe collée au sol.

 

 

Après sa rencontre inopinée avec Ayla, Jondalar n’avait eu qu’une hâte : s’éloigner au plus vite du campement. Puis, lorsqu’il eut atteint la Rivière et eut commencé à suivre la rive vers l’amont, il fut incapable de penser à autre chose. Il avait bien failli la prendre dans ses bras, il l’avait quasiment fait. Cela avait presque été un réflexe, alors pourquoi s’en était-il abstenu ? Et que se serait-il passé s’il l’avait fait ? Se serait-elle mise en colère ? L’aurait-elle repoussé ? Ou non ? Elle avait eu l’air si surprise, si choquée… mais lui-même n’avait-il pas été aussi surpris qu’elle ?

Pourquoi donc ne l’avait-il pas prise dans ses bras ? Pouvait-il arriver quelque chose de pire ? Si elle s’était mise en colère et l’avait repoussé, la situation serait-elle pire que ce qu’elle était maintenant ? Il aurait au moins la certitude qu’elle ne voulait plus de lui. Tu ne veux pas savoir, hein, c’est ça ? Mais les choses ne peuvent pas rester dans cet état. Était-elle en pleurs lorsqu’elle s’est enfuie ? Ou me le suis-je simplement imaginé ? Pourquoi aurait-elle pleuré ? Parce qu’elle était bouleversée, bien sûr. Mais pourquoi aurait-elle été bouleversée à ce point ? Parce qu’elle t’avait rencontré ? Mais pourquoi cela l’aurait-il bouleversée ? Elle m’a fait savoir quels étaient ses sentiments réels, la nuit de la Fête. Elle me les a bien montrés, non ? Elle ne s’intéresse plus à moi, voilà tout. Mais alors, pourquoi pleurait-elle ?

D’habitude, lorsqu’il se promenait au bord de la rivière, Jondalar commençait à se dire qu’il était temps de rentrer au moment où le soleil atteignait son zénith, à midi. Mais ce jour-là, il était tellement plongé dans ses pensées, les ruminant encore et encore, repassant dans sa tête le moindre détail dont il pouvait se souvenir, qu’il ne remarqua même pas le temps qui passait, la hauteur du soleil dans le ciel.

 

 

Danug, qui marchait à grandes enjambées pour se maintenir à la hauteur du loup, en venait à se demander si l’animal suivait la bonne piste. Jondalar avait-il pu s’éloigner à ce point ? Midi était passé depuis longtemps lorsque le Mamutoï s’arrêta brièvement pour boire un peu d’eau avant de se remettre en chemin. Après s’être désaltéré, il se redressa et au loin, sur une portion de rive assez droite, il crut apercevoir quelqu’un qui marchait. Il s’abrita les yeux de la main pour ne pas être ébloui par le soleil, mais fut incapable de distinguer quoi que ce soit derrière ce qui semblait être un méandre du cours d’eau. Le loup avait encore accéléré l’allure lorsqu’il avait fait halte pour s’abreuver, et il se trouvait désormais hors de vue. Espérant qu’il serait en mesure de le rattraper rapidement, le Mamutoï se remit en route, allongeant lui aussi le pas.

 

 

Jondalar fut soudain tiré de son intense méditation par quelque chose qui bougeait dans les buissons, près de l’eau. En scrutant avec attention, il distingua les mouvements d’un animal. En aurait-il après moi ? se demanda-t-il. Il n’avait pas emporté son arme avec lui, pas plus que des traits, et regardait par terre, fébrilement, à la recherche d’un objet quelconque, branche, bois de cerf ou pierre d’une certaine taille, quelque chose qui lui permettrait de se défendre, lorsque l’énorme bête sauta brusquement des fourrés, l’obligeant à se protéger le visage du bras avant d’être renversé sous l’impact.

Alors, plutôt que de le mordre, l’animal se mit à le lécher !

— C’est toi, Loup ? Que fais-tu ici ? s’exclama-t-il en s’asseyant et en essayant de se protéger des manifestations exubérantes de l’animal, tout excité.

Il le caressa un moment, le grattant derrière les oreilles, s’efforçant de le calmer un peu.

— Pourquoi n’es-tu pas avec Jonayla, ou avec Ayla ? lui demanda-t-il, saisi d’une soudaine inquiétude. Pourquoi m’as-tu suivi jusqu’ici ?

Lorsqu’il se releva pour reprendre sa route, Loup se mit à trotter nerveusement devant lui, avant de retourner dans la direction d’où ils venaient.

— Tu veux rentrer, Loup ? Eh bien, vas-y, dit-il.

Mais lorsqu’il se remit en marche, la bête sauta une fois de plus devant lui.

— Que se passe-t-il donc, Loup ? demanda-t-il avant de regarder le ciel pour constater que le soleil avait franchi son zénith. Tu veux que je rentre avec toi ?

— Oui, c’est ce qu’il désire, Jondalar, intervint Danug, sortant du sous-bois.

— Danug ! Mais qu’est-ce que tu fais là ? demanda Jondalar, ébahi.

— Je suis venu te chercher.

— Me chercher ? Mais pourquoi ?

— C’est Ayla, Jondalar. Il faut que tu rentres tout de suite.

— Ayla ? Il lui est arrivé quelque chose ?

— Tu te rappelles cette racine ? Celle avec laquelle elle a préparé une sorte de liquide pour elle et Mamut ? Elle a recommencé l’opération, pour en faire la démonstration à Zelandoni. Et cette fois encore, personne n’est capable de la réveiller, pas même Jonayla. La doniate dit que tu dois revenir tout de suite, sans quoi Ayla mourra et son esprit sera perdu à jamais, expliqua le Mamutoï.

— Non, pas cette racine ! s’exclama Jondalar, soudain pâle. Oh, Grande Mère, faites qu’elle ne meure pas ! Ne la laissez pas mourir, je vous en prie ! supplia-t-il avant de repartir en courant dans la direction du camp.

S’il avait été préoccupé à l’aller, ce n’était rien comparé aux sentiments qui l’assaillaient sur le chemin du retour. Il courait à toutes jambes le long de la Rivière, franchissant à toute allure les buissons d’épineux qui écorchaient ses jambes et ses bras nus, son visage. Il ne sentait rien. Il courut, courut jusqu’à perdre haleine, la gorge soudain sèche, une douleur au côté le poignardant tel un couteau chauffé à blanc, les jambes soudain prises de crampes. Mais il ne sentait presque pas la douleur, infiniment moins insupportable que celle qui affectait ses pensées. Il avait même distancé Danug, seul le loup étant capable de tenir son rythme.

Il avait du mal à croire qu’il s’était éloigné à ce point et, pire encore, qu’il mettait tout ce temps à rejoindre son point de départ. Il ralentit une ou deux fois l’allure pour reprendre son souffle, mais sans jamais faire halte, et redoubla de vitesse lorsque, à l’approche du campement, la végétation commença à s’éclaircir.

— Où… où est-elle ? demanda-t-il à la première personne qu’il rencontra.

— Dans la hutte de la Zelandonia, lui répondit-on.

Tous les participants à la Réunion d’Été s’étaient lancés à sa recherche et n’attendaient que son retour et, de fait, plusieurs personnes l’acclamèrent en le voyant se précipiter vers le local. Il ne les entendit pas et ne s’arrêta que lorsque, après avoir repoussé d’une bourrade la tenture qui cachait l’entrée, il la vit, allongée sur la litière entourée de lampes à huile. Là, la seule chose qu’il fut capable de faire fut de prononcer son nom dans un souffle :

— Ayla…

Le Pays Des Grottes Sacrées
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